Le matin il arrive qu’on ne voit plus le sol tellement il est jonché de fleurs
« Serge Nicolaï, usant d’une esthétique zen qui suggère fantômes et rues de Tokyo, crée une chambre noire d’où surgit une succession d’images du monde flottant (traduction de ukiyo-e, l’art de l’estampe japonaise). Dans ce théâtre d’ombres vivantes, les blancs masques nô et les corps (presque) nus des danseuses édifient une ronde macabre, portée par les percussions jouées en direct par Matthieu Rauchvarger. Si l’on ne peut que louer la performance de Yumi Fujimori, Carina Pousaz et Jennifer Skolovski qui endossent plusieurs rôles de personnages réels ou d’apparitions, on n’a d’yeux que pour Yoshi Oïda. Titulaire d’une maîtrise de philosophie ayant collaboré, dans sa jeunesse, avec l’écrivain Yukio Mishima, l’acteur, metteur en scène et essayiste japonais a été révélé en France par Peter Brook dans de nombreux spectacles aux Bouffes du Nord (tels le Mahabharata, Curlew River de Britten ou La Tempête de Shakespeare). À 87 ans, l’acteur flottant – comme il se nomme – a beau parler toujours aussi mal le français, il se dégage de lui une autorité dramatique intense qui confère une vérité glacée au personnage de Eguchi. Réfléchissant sur la pratique théâtrale, Oïda écrit : “Si je montre la lune et que je joue bien, le public ne percevra plus mon existence.” Il pourrait s’être trompé : lorsqu’il montre une jeune fille nue, c’est lui qu’on regarde. »
Emmanuel Daydé, ARTPRESS